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Lettre Encyclique, Gillet 1933

Lettre Encyclique
du Rme P. M. S. GILLET
79e Maître Général de l’Ordre de S. Dominique
aux Tertiaires séculiers

[ 7 mars 1933 ]

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A Nos chers fils et filles dans le Christ, les frères et sœurs du Tiers-Ordre Séculier de Saint Dominique salut et progrès dans l’esprit de leur Sainte Vocation.

C’est dans les villes que, surnaturellement inspiré, saint Dominique établit ses couvents. Ceux-ci ne sont pas seulement, comme les monastères qui les ont précédés, des écoles de vie religieuse et de prière, de lumineux signaux de sainteté qui rappellent aux chrétiens que la perfection est l’idéal vers lequel chacun doit tendre ; ce sont encore des forteresses d’où les athlètes de la foi s’élanceront à la conquête pacifique du monde. Tout naturellement l’œuvre de saint Dominique va mêler à la pâte même du monde, en s’épanouissant en Tiers-Ordre, le levain de la perfection destiné à rendre les âmes agréables à Dieu.

Historique du Tiers-Ordre.

Le moyen âge connut beaucoup de groupements de pénitents cherchant à réaliser en eux-mêmes et à développer autour d’eux la perfection évangélique recommandée par nos Saints Livres. L’Ordre était à peine né qu’un grand nombre de ces pénitents devinèrent qu’ils allaient trouver dans la fondation de saint Dominique une atmosphère de famille et un programme de vie bien défini, à l’abri de toutes les illusions personnelles, et sous l’égide de l’Église. Nous voyons ces aspirants à la perfection venir, comme des enfants d’une même famille, se placer sous l’influence doctrinale et spirituelle des fils de saint Dominique. C’est donc par l’évolution naturelle des choses que beaucoup d’âmes, par libre choix, se groupent autour de nos premiers couvents. Ces frères et ces sœurs du monde deviennent si nombreux qu’il faut bientôt leur donner des statuts, pour les placer d’une façon officielle sous la conduite de l’Église et de l’Ordre, pour adapter à leur situation les règles essentielles de la vie religieuse et pour consacrer juridiquement les liens qui les rattachent à l’Ordre tout entier. C’est l’œuvre du Maître Général Muño de Zamora, successeur de Jean de Verceil. Peu de temps après son élévation au généralat, le 12 mai 1285, il publia le document qui consacrait le Tiers-Ordre Dominicain.

Nul n’a mieux défini que Muño de Zamora l’essence du Tiers-Ordre, qui n’est pas une dévotion, mais une religion ; « étant », dit-il, « fils particulier de saint Dominique dans le Seigneur, le Tertiaire sera surtout, selon ses moyens, un propagateur zélé de la foi catholique ». En entrant dans le Tiers-Ordre, insiste-t-il, on entre en religion. C’est un troisième mode, mais un mode réel, d’appartenir à l’Ordre fondé par saint Dominique ; en étant appelé au Tiers-Ordre, on sort spirituellement du monde. Religieux vivant dans le siècle, le Tertiaire aura donc une règle à observer, des supérieurs auxquels il devra obéir, une vocation d’apôtre à laquelle il devra répondre par tous ses actes. Ces statuts de 1285 qui consacrent canoniquement l’existence, la nature, et la vie du Tiers-Ordre furent approuvés l’année suivante par Honorius IV dans une bulle du 28 janvier 1286. Dès lors les fraternités vont s’ériger de plus en plus nombreuses et devenir de plus en plus florissantes. Des religieux éminents de sainteté, tel le Bienheureux Raymond de Capoue, se dévouent à leur diffusion et à leur prospérité. La fraternité de Sienne, par exemple, qui comptait parmi ses membres sainte Catherine patronne du Tiers-Ordre, devint un ardent foyer de vie spirituelle. On comprend dès lors que, le 18 janvier 1401, le pape Boniface IX donne au Tiers-Ordre une nouvelle et solennelle approbation, et que le 23 avril 1923 le Pape Pie XI lui impose une Règle plus adaptée à notre temps.

C’est à ces exemples, et par ce recours vivant à une tradition saine et austère, que les Tertiaires prendront de plus en plus conscience de la grandeur de leur vocation.

Esprit du Tiers-Ordre

A la lumière de tous ces documents on se rend nettement compte que le Tiers-Ordre est une branche de ce grand arbre qu’est l’Ordre des Frères Prêcheurs ; il en fait partie intégrante et la sève qui le vivifie est celle-même de l’Ordre. Son esprit est un esprit apostolique et le Tertiaire n’a pas compris complètement sa mission, s’il ne s’exerce pas, dans la mesure où il le peut, à l’apostolat ; souvent, sans doute, cette mesure dépasse-t-elle ce qu’il avait cru, tout d’abord, possible.

On ne saurait donc ranger le Tiers-Ordre, sans commettre une grossière erreur, au nombre des simples confréries, où l’on se fait inscrire pour se livrer à des exercices de piété ou de charité, pour obtenir des faveurs spirituelles et en particulier des indulgences, ou pour aider au développement du culte public ; certes on y rencontre tout cela, mais aussi quelque chose de plus. Cependant, si distingué qu’il soit des associations de ce genre, il est distingué nettement, par le Code de Droit canonique, des Ordres religieux, proprement dits. Qu’est-il donc alors ? C’est un état de vie, où les séculiers — qu’ils soient prêtres ou laïques — s’engagent par vocation, et jusqu’à la mort, sans toutefois sortir du monde, à porter la perfection dans toute leur vie et dans toute leur action, « selon l’esprit et sous la direction de l’Ordre de Saint-Dominique » ainsi que s’exprime le Chapitre I de la Règle.

Les Tertiaires sont les collaborateurs-nés des Frères-Prêcheurs. Certes, ils le savent bien ; dans le monde entier, et là surtout où ils peuvent se grouper autour d’un couvent de religieux ou de religieuses, ils se mettent à notre service avec un zèle et une générosité qui, bien souvent, nous confondent et leur attirent toujours notre reconnaissance émue. Cependant il ne faudrait pas croire que cet amour si sincère, si profond et si dévoué qu’ils éprouvent pour l’Ordre, a accompli tout son devoir en les groupant et en groupant avec eux, autour des Pères, des âmes de bonne volonté qui viennent recevoir de ceux-ci une vie spirituelle plus forte et plus abondante. Il faut que la perfection qu’ils ont puisée ainsi aux sources dominicaines ils la répandent, à leur tour, au dehors ; s’ils ont besoin d’apprendre, de recevoir, de se réchauffer au foyer dominicain, c’est afin de pouvoir, quand le moment en est venu et que l’occasion s’en présente, donner aux autres du trop plein de leur propre vie surnaturelle.

A l’heure où le Saint-Siège s’attache à donner à ces Fils de Dieu, que sont les baptisés et les confirmés, une conscience plus éclairée de leurs devoirs envers la Sainte Église, à les pousser à l’Action catholique, à leur rappeler leur obligation de remplir leurs devoirs de charité fraternelle, dans l’obéissance à la hiérarchie et dans la soumission à ses décisions comme à sa discipline, il importe que les Tertiaires remplissent ce devoir en perfection, dans la dépendance de l’Ordre et selon son esprit ; que partout où ils se trouvent, en utilisant les liens que la nature ou les circonstances ont formés, ils se montrent de « véritables lumières du monde », des modèles, des aides de Dieu, des apôtres en un mot.

Apostolat du Tiers-Ordre

Dans la famille

C’est, en premier lieu, dans le cercle de la famille, que le Tertiaire, qu’il ait à commander ou à obéir, qu’il ait à enseigner ou à apprendre, doit toujours être fidèle à sa vocation de perfection, savoir qu’à l’exemple du Maître il est là, non pour être servi, mais pour servir. La famille est-elle vraiment unie, comme le devrait être toute famille chrétienne, quel bien peut y faire le Tertiaire ! Sans s’imposer, en respectant, comme il le doit, la liberté due à toute âme, il est à même de faire connaître la vie de l’Ordre, d’aider discrètement chacun à établir sa foi, comme sa piété, sur les assises solides qu’il bénit Dieu de lui avoir données à lui-même, ou au cours d’une conversation, ou par la lecture de quelques pages d’un livre, qu’il fera désirer poursuivre, ou en amenant la rencontre d’un Père ; que de crises douloureuses un père ou une mère de famille n’éviteront-ils pas ou n’atténueront-ils pas par ce moyen ! Ils permettront à la lumière de briller dans des esprits troublés par le vin fumeux de la jeunesse aussi bien que par les sophismes du monde, aux âmes de s’épanouir dans l’esprit si large et si joyeux de la religion dominicaine ; ils entraîneront à l’apostolat des cœurs qui ne cherchent qu’à se donner.

Mais qui ne sait que l’individualisme porte ses ravages là-même où entre époux, entre parents et enfants, il ne devrait y avoir qu’un seul cœur et qu’une seule âme, si les lois chrétiennes étaient vraiment respectées et obéies ? Là même où il n’y a pas mésentente, où, aux yeux du monde, la famille paraît unie, n’y a-t-il pas, parfois, cohabitation plutôt qu’union, entente des intérêts matériels plus que des spirituels, alliance de parade devant les étrangers et les importuns plus que cohésion véritable ? Combien de parents se plaignent de n’être ni respectés ni compris par leurs enfants, comme ceux-ci le font de n’être ni compris, ni encouragés, ni entourés de la chaude affection dont ils sentent le besoin et qu’il leur semblerait tout naturel de demander, avant tout autre, au foyer familial ! Père, mère ou enfant, le Tertiaire ne négligera rien de ses devoirs de famille, sous le fallacieux prétexte de remplir ceux du Tiers-Ordre ; mais en outre il saura ‘que la meilleure manière d’être fidèle à ces derniers est d’accomplir en perfection ses devoirs familiaux, en s’oubliant et même en se sacrifiant pour les siens.

Par l’abnégation sincère qu’il puisera dans son attachement à l’Ordre, par l’humble oubli de soi qui n’exigera le sacrifice ni de son autorité, ni de sa dignité, ni de ses devoirs, quel admirable fauteur d’union, de concorde et de joie sereine il pourra être !

Dans la paroisse

Si la fraternité chrétienne n’est pas un vain mot, si c’est en réalité et non par métaphore que les fils de Dieu sont frères, il est évident que les remarques que nous venons d’exprimer au sujet de la famille visent aussi le rôle que doivent jouer les Tertiaires dans la paroisse. Celle-ci ne tient-elle pas dans la cité de Dieu la place que tient la famille dans la société civile ?

Ne parlons pas de ces Tertiaires qui ne voudraient rien connaître en dehors de l’Ordre et dont les paroles ou l’attitude murmureraient, déclareraient ou proclameraient qu’ils ne goûtent rien en dehors de lui ; par cette indiscrète conduite ils discréditeraient l’Ordre autant qu’ils feraient eux-mêmes et montreraient, en s’enfermant ainsi dans une petite chapelle, qu’ils n’ont rien compris à l’esprit de l’Ordre ; ils seraient en même temps infidèles à leur Règle. Mais ceux-là même qui ne tombent pas dans ce travers comprennent-ils bien tout ce qui leur est demandé ? Ils sont une élite, ils le savent ; mais on ne saurait en être une et le demeurer si l’on n’agit pas : « La foi qui n’agit point est-ce une foi sincère ? » Un Tertiaire « adjutor Dei » n’est pas dans sa vocation, s’il n’est pas l’aide de son curé, comme il veut l’être de son Ordre. Être Tertiaire, c’est avoir un grade dans l’ordre du service chrétien, pourrions-nous dire : par là les devoirs ne sont pas diminués ; ils sont, au contraire, accrus et il faut que ce soit parmi nos Tertiaires que les curés trouvent leurs meilleurs paroissiens ; qu’importé si ce sont toujours les mêmes qui se font tuer !

Il faut avouer que, dans les grandes villes, là où par la force des choses nos Tertiaires sont les plus nombreux, ni l’étendue de la paroisse, ni le nombre de ses membres ne favorisent le développement de cet esprit de famille, si le clergé paroissial s’efforce de connaître toutes ses brebis, celles-ci n’ont pas toujours le souci de se faire connaître de lui. Raison de plus pour le Tertiaire de se porter au secours de son curé, ne serait-ce qu’en se faisant recruteur. Chacun peut connaître, et assez intimement pour être en mesure de le faire sans indiscrétion, quelques personnes de la paroisse qui n’ont besoin que d’être un peu encouragées, voire même d’être présentées au clergé, pour s’intéresser à la vie et aux œuvres de la paroisse, pour assister aux réunions où se décident ses intérêts. Est-ce assez ? Non, car il ne suffit pas d’amener du monde aux réunions, il faut encore travailler à les rendre vivantes. Par une tendance trop conforme à leur nature, les hommes, même les chrétiens, sont enclins à s’endormir, comme ont fait les Apôtres à Gethsémani ; mais quand Jésus souffre et est en agonie, — et il le sera jusqu’à la fin du monde — ce n’est pas l’heure de dormir. Le Tertiaire ne se contentera pas de demeurer éveillé ; il tiendra les autres éveillés et il sera un véritable « pilier » de sa paroisse ; son activité, en pénétrant partout, empêchera les œuvres d’exister seulement sur le papier.

A chacun de trouver le temps nécessaire pour ce service paroissial. L’Apôtre recommande à ceux qui n’ont pas de quoi faire l’aumône de travailler afin de gagner ce qui leur permettra de la faire : qu’à notre époque, où, comme chacun sait, le temps est devenu de l’argent, l’on en gagne ou l’on en épargne un peu pour le prochain. Le plus souvent, il suffira de le prendre sur des occupations dont on peut se dispenser, et l’expérience prouve que ce ne sont pas ceux qui sont le plus occupés qui en trouvent le moins.

A chacun aussi d’examiner les œuvres aux-quelles il doit donner sa préférence ; à moins qu’il n’y en ait une qui, sous menace de périr, réclame impérieusement leur aide, ils doivent réserver le meilleur d’eux-mêmes à celles dont le but direct est l’apostolat, qu’il s’agisse d’enseigner le catéchisme à des enfants ou à des adultes, de le faire à tout un groupe ou à un seul catéchumène en particulier : une âme est à elle seule un grand auditoire, a déclaré le P. Lacordaire. Ce seront des conférences de tout genre, d’enseignement, de documentation, plus spécifiquement catholiques ou d’un intérêt plus général, en vue d’attirer des indifférents, auxquels, dans la même séance, une parole plus apostolique sera adressée ; et ces indifférents, ce n’est plus seulement parmi les hommes qu’on les rencontre à l’heure actuelle, c’est aussi parmi les femmes.

Qu’on ne saisisse pas, pour excuser son abstention, le prétexte de n’être pas assez instruit des vérités de la religion, ou qu’on ne sait ni les exposer, ni les développer ; on les apprendra et l’on s’exercera à en rendre compte.

On peut encore, dans un rôle plus modeste ou plus effacé, rendre de très grands et très appréciables services. Les œuvres comportent une organisation et une administration ; elles ont besoin de dévoûments obscurs qui veillent à ce que tout soit ordonné et préparé, soit dans l’œuvre même, soit pour se tenir en liaison avec les œuvres similaires des autres paroisses : travail de bureau, travail d’enquête, travail qu’on peut faire chez soi ou au local de l’œuvre, qu’on peut faire soi-même ou qu’on peut confier à ceux qui vous entourent, famille ou employés. Le champ est vaste ; il y a de la place pour tous les ouvriers, pour ceux qui sèment et pour ceux qui moissonnent ; il y a de l’ouvrage pour les ouvriers de la onzième heure, comme pour ceux qui se sont levés et qui ont été embauchés dès le matin.

Dans la société

Si importante, que soit la place tenue dans l’organisation de l’Église par la paroisse, celle-ci n’épuise pas, à elle seule, toutes les possibilités d’apostolat. C’est le monde tout entier, cet éternel malade, qui s’ouvre à notre action ; il a besoin de nous et, s’il est tout entier plongé dans la malignité, comme nous l’enseigne Nôtre-Seigneur, il faut nous souvenir que le Sauveur est venu pour s’occuper des pécheurs encore plus que des justes. Possesseurs de la vérité et de la charité, assurés de les posséder l’une et l’autre, nous avons le devoir de les faire pénétrer là où elles doivent parvenir, c’est-à-dire partout : dans la vie publique, dans la vie sociale, dans la vie économique, dans la vie internationale. C’est pour mieux atteindre ce but que le Saint-Siège organise, comme il le fait, l’Action Catholique, dont toute association religieuse, ainsi que l’a enseigné une lettre de la Secrétairerie d’Etat du 30 mars 1931, est l’auxiliaire-née. Si la société, telle qu’elle est constituée actuellement, menace de s’écrouler, c’est qu’elle ne s’est pas bâtie en prenant Jésus-Christ pour pierre angulaire ou qu’elle l’a rejeté ; il faut reprendre le travail en sous-œuvre et rendre au Maître la place qu’il a le droit d’avoir dans l’ordre de l’action comme dans celui de la pensée.

Par l’action

Dans le premier, il est bien clair que nos Tertiaires doivent soutenir les œuvres catholiques d’un intérêt général, les renouveler sans cesse en les adaptant aux conditions changeantes de la vie, les perfectionner jusqu’à en faire des modèles pour les œuvres du même genre, en fonder de nouvelles. Depuis quelques années, il s’est fondé beaucoup de groupements de catholiques dans les diverses professions ; il y a encore des pays qui n’en ont pas, et, dans ceux-là même où ce mouvement est actif, il y a des professions où ne sont pas encore organisés les fonctionnaires, employés ou ouvriers des deux sexes. Il ne s’agit pas d’être à, la remorque, ni surtout de se laisser dépasser ; il faut devancer les adversaires. On nous entend bien : ni inimitié, ni même rivalité, mais émulation loyale et sincère.

Cette émulation, il la faut porter sur le terrain même de cet adversaire. Il y a des institutions qui sont neutres par leur nature ou par le fait des circonstances : une société d’encouragement des sciences ou des arts, de propagande nationale, de collaboration internationale ; il y en a d’autres qui le sont par la volonté des hommes, mais sans que nous puissions rien changer à leur organisation, au moins rapidement. Certains de leurs postes ou de leurs charges s’obtiennent au concours ou se confient au dévoûment. Qui ne voit que l’esprit de ces institutions peut se modifier selon que ce seront des incroyants, des indifférents ou des fidèles à la foi solide qui les occuperont, qui visiteront les malades, les prisonniers, qui seront titulaires de chaires dans des écoles, aux divers degrés de l’enseignement ? La place des dames est marquée ici encore, comme celle des hommes. Un danger, certes : celui de donner vie et force à des organismes qui peuvent se tourner contre ce qui nous est le plus cher. La parade est bien facile à exécuter : être de vrais et fidèles chrétiens, être Tertiaires jusqu’au cou.

Par la pensée

L’ordre de la pensée ne doit le céder en rien à celui de l’action, bien qu’il soit peut-être plus difficile d’y servir.

Quand, dans la Somme Théologique, saint Thomas d’Aquin dresse la table de toutes les vertus ; quand, dans ses autres ouvrages, il traite, soit d’ensemble, soit pour répondre à une question particulière, du même sujet, on voit que, tout en établissant des principes et en tirant des corollaires qui valent pour tous les temps, comme pour toutes les nations qui sont sur la terre, il ne pense pas dans le vide, ni ne poursuit un idéal abstrait, mais qu’il s’établit dans le concret, en ayant devant les yeux l’organisation sociale et politique de son époque, comme en philosophie, il n’a pas d’autres données physiques que celles de la science de ses contemporains. Mais de même que les prodigieuses découvertes modernes — nous visons au moins autant les spéculatives que les pratiques — n’infirment en rien les principes, ni les conclusions premières de sa philosophie, de même les changements — nous devrions dire : les bouleversements — survenus dans les relations politiques, économiques, sociales, internationales, ne font nullement chanceler les principes de la morale. Il importe seulement d’apporter des mises au point qui n’ont pas encore toujours été faites ou qui n’ont pas été faites comme il aurait fallu.

N’accusons personne; des accusations de ce genre risquent d’être aussi fausses que vaines. Constatons seulement, non sans tristesse d’ailleurs, que sur un certain nombre de questions importantes, bien des catholiques, hommes et femmes, dont le cœur est profondément chrétien, raisonnent avec une intelligence qui l’est beaucoup moins et qu’ils vont jusqu’à défendre comme vraies et légitimes des opinions qui, en bonne doctrine, sont loin de l’être. De ce chef, il y a un travail immense à accomplir et qui semble bien dépasser la puissance d’un homme, fût-il un génie de la taille de S. Thomas. Pour le mener à bien, il importe d’établir des contacts plus fréquents, une liaison plus intime, au profit de la vérité et du bien commun, entre philosophes chrétiens et théologiens d’une part, et d’autre part savants, économistes, jurisconsultes, industriels, négociants, hommes publics, diplomates. N’en est-il pas, parmi nos Tertiaires, qu’une telle collaboration puisse tenter, qui comprennent quel devoir ce peut être pour eux que d’aider ainsi à organiser la paix du Christ ? Comme toute paix, elle est la tranquillité de l’ordre. Dieu a laissé le monde aux disputes des hommes ; qu’on les institue ces disputes, au lieu de s’assoupir, comme on le fait trop volontiers, dans l’attente d’on ne sait quel miracle humain ; mais qu’on ne le fasse pas sans se référer aux vrais principes, sans un sincère esprit de charité intellectuelle, sans le désir, en ne sacrifiant rien des droits qu’on doit défendre, de saisir l’âme de vérité qui se trouve dans l’opinion adverse, pour la dégager de sa gangue d’erreur et lui permettre de s’épanouir.

Le P. Lacordaire déclarait un jour à son auditoire de Notre-Dame de Paris qu’il voulait lui faire boire jusqu’à la lie la coupe de sa gloire. Nous ne pouvons, dans cette lettre, vous abreuver de toute la gloire de l’Ordre ; que ceux d’entre vous qui savent notre histoire s’y reportent ; que les autres l’apprennent et que tous, s’enflammant d’une sainte émulation, se décident à faire pour notre temps, ce que leurs devanciers ont fait pour le leur. Les temps sont plus difficiles, les ennemis plus nombreux, l’horizon est plus sombre ! Qu’en savons-nous ? Et quand même il en serait ainsi, qu’est-ce que tout cela signifie : que nous aurons plus à souffrir ! Constater qu’il avait eu à souffrir était pour saint Dominique une source de joie, parce que c’était pour lui un gage certain de victoire sur les ennemis de Dieu.

A l’heure où se font plus pressants les appels que l’Église adresse à tous ses enfants, c’est un impérieux devoir de Notre charge et que Nous remplissons d’ailleurs avec joie que de vous engager à travailler avec Nous à un apostolat qui ne peut manquer d’être fécond. « Tout homme, a écrit le P. Lacordaire, dans la Vie de Saint Dominique, est vicaire de Jésus-Christ pour travailler, par le sacrifice de soi, à la rédemption de l’humanité. » C’est donc un strict devoir pour les Tertiaires de la Pénitence, dans les circonstances actuelles, si tragiques, sans rien négliger de leurs pénitences auxquelles Nous ne pouvons que les engager à demeurer fidèles, de redoubler d’efforts afin de se mettre, par le sacrifice d’eux-mêmes, au service de Dieu et du prochain.

Initiatives intéressantes

Nous sommes heureux de constater qu’en plusieurs de nos Provinces on le comprend, qu’à côté de retraites fermées auxquelles assistent les Tertiaires appartenant à diverses Fraternités, se sont instituées des journées où ils se donnent rendez-vous, pour échanger leurs vues, étudier les questions qui intéressent le Tiers-Ordre et d’où ils retournent chez eux, réconfortés par ces contacts, édifiés par les initiatives de leurs Frères ou de leurs Sœurs et décidés à les imiter.

En quelques endroits, on a institué des réunions périodiques à l’intention des Tertiaires qui, conformément au chapitre 1, numéro 4, de la Règle, sont, pour un motif légitime, demeurées en dehors d’une Fraternité; grâce à ces réunions, plusieurs d’entre elles, constatant que le motif qui les avait empêchées d’appartenir à la Fraternité avait cessé, s’y sont fait recevoir. Comme un des plus pressanis parmi ces motifs est la nécessité pour certaines personnes d’assurer en semaine les obligations de leur profession, ailleurs on a établi des réunions du dimanche.

Convocation du Congrès

Il Nous a paru que le moment était venu de faire plus. A l’heure où à Bologne se célébrait le septième centenaire de la mort de notre Saint Patriarche, il s’y est tenu un Congrès National du Tiers-Ordre. L’année prochaine verra le septième centenaire de sa canonisation : Nous convoquons donc à Rome un Congrès Général du Tiers-Ordre. La bulle « Fons sapientiae », donnée à Rieti par Grégoire IX, est datée du 5 des nones de juillet (3 juillet); mais cette époque de l’année n’est guère favorable pour faire venir à Rome ceux qui n’ont pas l’habitude de son climat; il Nous plaît en outre de faciliter à Nos Frères et à Nos Sœurs leur venue ici au cours même de l’Année Sainte, qui se termine le 2 avril, lundi de Pâques ; Nous les convoquons donc du jeudi 8 février 1934 au 11, dimanche de la Quinquagésime.

Nomination du promoteur général

Afin de mieux préparer ce Congrès et d’en assurer le succès, Nous ordonnons à tous les Promoteurs Provinciaux de Nous adresser le rapport annuel prescrit par le n° 798 des Constitutions sur l’état et les progrès du Tiers-Ordre; jusqu’ici un seul de ces rapports Nous est parvenu. Qu’ils l’envoient bientôt à Notre Promoteur Général, le T. R. P. Thomas Garde, avec les suggestions qui leur paraîtront utiles pour la bonne organisation du Congrès.

Cette lettre sera communiquée directement aux Fraternités et publiée dans nos Revues Provinciales, pour atteindre aussi les Tertiaires individuels. Dès maintenant les Prieurs, comme les Directeurs, s’emploieront à recueillir, ainsi qu’à encourager, les adhésions au Congrès ; ils recevront, en temps utile, du P. Promoteur Général les renseignements nécessaires, comme ceux qu’ils jugeraient utile de lui demander.

Nous vous bénissons d’un cœur tout paternel, et Nous Nous recommandons avec Nos Socii à vos ferventes prières.

Rome, en Notre maison généralice, le 7 mars 1933.

Fr. MARTIN S. GILLET O. P.
Maître Général.

Written by Jan Frederik

23.11.2016 kl. 21:14

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